Les pratiques agroécologiques sont largement utilisées par les agriculteurs africains

Les agriculteurs africains, aussi bien les petites exploitations que les plus grandes fermes, recourent très largement à toute une palette de pratiques agroécologiques. Cette observation controversée vient d’être révélée dans un nouveau document de travail de l’équipe du projet Viabilité. Une réalité qui s’applique à un large éventail de contextes sociopolitiques et écologiques, et qui va à l’encontre de l’idée reçue selon laquelle l’agroécologie ne serait pas viable pour les agriculteurs africains.

En 2021 et 2022, le projet « Viabilité des pratiques agroécologiques en Afrique » (Viability of Agroecological Practices in Africa – Viability), sous l’égide de la Plateforme de partenariat pour la transformation agroécologique (Agroecology TPP)*, a recueilli des données à partir de onze études de cas dans huit pays : Burkina Faso, Éthiopie, Kenya, Madagascar, Malawi, Sénégal, Tanzanie et Tunisie.

Les premiers résultats démontrent une réalité controversée : les agriculteurs africains utilisent déjà largement toute une série de pratiques agroécologiques d’origines diverses, ainsi que des combinaisons de celles-ci.

Une étude sur la perception des pratiques agroécologiques par les agriculteurs

La méthode utilisée a permis d’étudier la perception qu’ont les agriculteurs des pratiques agroécologiques, les conditions de leur adoption à l’échelle de l’exploitation, leurs performances agronomiques et les facteurs environnementaux, sociaux ou économiques qui influencent leur adoption. Bien qu’il reste beaucoup d’analyses à mener, les résultats obtenus sont déjà suffisamment convaincants pour être rendus publics.

La question de la viabilité de l’agroécologie

L’agroécologie vise à soutenir la transformation durable des systèmes alimentaires et agricoles. Elle repose sur un ensemble de principes environnementaux et socio-techniques qui peuvent être appliqués de différentes manières en fonction du contexte local. Proposée comme solution aux multiples défis auxquels sont confrontés les agriculteurs africains, l’agroécologie est pourtant souvent mise en doute sur sa viabilité. L’objectif du projet Viabilité n’est pas de résoudre ces différends. Les membres du projet reconnaissent volontiers que de nombreux aspects de l’agroécologie restent controversés.

La flexibilité est clé

Viability s’est intéressé à la fois aux agriculteurs ayant participé à des projets de promotion de l’agroécologie, et à d’autres n’ayant pas participé. Sur chaque site d’étude, la quasi-totalité des agriculteurs recouraient à des pratiques agroécologiques. Le projet a donc démontré que, loin d’être des alternatives marginales aux pratiques conventionnelles, les pratiques agroécologiques étaient profondément ancrées dans les systèmes agricoles africains.

La clé de leur utilisation est la diversité des pratiques disponibles et les nombreuses combinaisons possibles. Les pratiques dominantes sont celles qui limitent l’utilisation ou réduisent le besoin d’intrants externes, améliorent et maintiennent la santé des sols et augmentent les synergies et le recyclage. Nombre d’entre elles impliquent de simples changements des systèmes agricoles, tels que l’utilisation d’autres variétés. Il n’existe pas de solutions toutes faites, mais plutôt des réponses sur mesure et adaptées aux besoins et contraintes individuels de chaque agriculteur.

Des solutions sur mesure souvent élaborées par les agriculteurs eux-mêmes

Les pratiques utilisées ont des origines diverses : certaines sont indigènes (développées spontanément par les agriculteurs eux-mêmes), tandis que d’autres ont été importées d’ailleurs ou développées conjointement. Le codéveloppement est un principe clé de l’agroécologie, mais lorsqu’une pratique est bien établie dans une région donnée, il n’est souvent pas nécessaire de la développer davantage. Tout au plus peut-on la modifier ou l’adapter, comme le confirment les études de cas.

Pourquoi les agriculteurs se tournent-ils vers l’agroécologie ?

La quasi-totalité des agriculteurs questionnés pour l’étude recourent à l’agroécologie, malgré le manque de soutien, voire l’opposition réelle, des régimes – politiques et systèmes de recherche – et des institutions – gouvernement, services de conseil et secteur privé. Comme l’indique par exemple un informateur au Malawi, « les compagnies de tabac sont vent debout contre l’agroécologie parce que nous encourageons le reboisement ».

Après avoir pesé les avantages et les inconvénients de chaque pratique, les agriculteurs choisissent celles qu’ils utilisent en fonction de leurs priorités personnelles. Leurs motivations varient, mais ne se limitent pas à gagner de l’argent. Les raisons les plus souvent invoquées sont l’augmentation des rendements, la réduction des coûts des intrants et l’augmentation des revenus. Certains agriculteurs mentionnent aussi la protection de l’environnement (réduction de l’érosion des sols et de la pollution de l’eau, protection de la biodiversité et réduction des toxines environnementales) et les avantages sociaux (meilleure qualité de vie, bonheur et diminution des conflits sociaux).

Contrairement à ce qui est souvent affirmé, la main-d’œuvre n’est pas toujours un obstacle à l’utilisation des pratiques agroécologiques. Certains agriculteurs affirment en effet que ces pratiques réduisent le temps de travail. D’autres voient l’augmentation de la charge de travail d’un bon œil, car l’estiment rentable.

Explorer la viabilité de l’agroécologie au-delà de l’échelle de l’exploitation et du ménage

L’évaluation de la viabilité des pratiques agroécologiques est un travail complexe. En effet, ces dernières sont généralement utilisées en combinaison et inextricablement liées à d’autres composants des systèmes agricoles et alimentaires. De même, alors que l’étude du projet Viabilité s’est concentrée sur les exploitations agricoles et les ménages, la viabilité de l’agroécologie dépend de facteurs opérant à d’autres niveaux, tels que les paysages et les territoires. D’autres recherches transdisciplinaires combinant des données quantitatives et qualitatives sont nécessaires. S’il n’y a pas de réponse simple à la question « l’agroécologie est-elle viable ? », il ne fait aucun doute que ces pratiques ont beaucoup à offrir pour l’Afrique, en termes de construction de systèmes alimentaires et agricoles plus durables.

Comme l’affirment Nadine Andrieu, du Cirad, et Richard Coe, du CIFOR-ICRAF, co-coordinateurs du projet Viabilité : « il est encore tôt pour interpréter les nombreuses données recueillies dans le cadre de ce projet. C’est néanmoins passionnant de voir que des résultats importants sont déjà en train d’émerger ».

* La Plateforme de partenariat pour la transformation agroécologique (Agroecology TPP) rassemble un large groupe de scientifiques, d’experts et de décideurs politiques qui travaillent ensemble pour accélérer les transitions agroécologiques. Depuis son lancement officiel le 3 juin 2021, la TPP s’évertue à combler les lacunes en matière de connaissances dans huit domaines, qui soutiendront diverses institutions et groupes de promotion de l’agroécologie dans les processus décisionnels clés.
Ce partenariat a été fondé par le Cirad, l’Alliance de Bioversity International, le CIAT, BioVision, le PNUE, la FAO et le CIFOR-ICRAF.

Source: CIRAD (https://www.cirad.fr/les-actualites-du-cirad/actualites/2023/les-agriculteurs-africains-utilisent-des-pratiques-agroecologiques)